Projet de loi Sapin II : vers une plus grande éthique de la vie économique et publique
Edito
En 2014, l’OCDE a considéré comme largement perfectible l’arsenal de lutte français contre la corruption d’agents publics étrangers. Le projet de loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, appuyé par le rapport Nadal sur l’exemplarité des responsables publics, vient combler les lacunes mises en évidence par le rapport de l’OCDE. Ces mesures font aussi suite aux nombreux scandales liés à l’évasion fiscale (Panama papers, Luxleaks), qui coûtent 40 à 60 milliards d’euros par an à l’Etat français, ainsi qu’à la nécessité de mettre fin aux salaires indécents de quelques grands patrons… Ce projet de loi est l’objet d’un consensus entre la majorité parlementaire et le gouvernement car près de 1500 amendements ont été déposés sur ce texte de 57 articles. Je salue cette volonté du gouvernement, ouvert au dialogue, d’avoir laissé une large part d’initiative aux députés. Le texte repose sur trois principes.
I La transparence
Pour mémoire, notre majorité a depuis 2012 établi plus de transparence fiscale. La loi bancaire votée en 2013 oblige déjà les établissements bancaires à publier un certain nombre de données (chiffre d’affaires, effectifs…) pays par pays. Dans cette même loi de finances rectificative, nous avons adopté l’échange automatique d’informations entre les administrations fiscales de tous les pays pour les entreprises ayant un chiffre d’affaire supérieur à 750 millions d’euros.
Pour renforcer la transparence dans la prise de décisions publiques, le projet de loi apporte de nouvelles mesures salutaires sur la protection du statut de lanceur d’alertes en créant un statut spécifique et un socle de droits communs à tous les lanceurs d’alertes. Le groupe socialiste, auquel j’appartiens, s’attache à la protection du lanceur d’alerte « éthique » qui agit en conscience et en défense de l’intérêt général.
II La régulation
Le débat sur la rémunération des dirigeants des grandes entreprises revient régulièrement sur la scène médiatique. Ces rémunérations sont d’autant plus scandaleuses qu’elles ne correspondent pas toujours aux résultats de l’entreprise ou que ces résultats ont été obtenus après des plans sociaux douloureux pour les salariés. Il est donc légitime que le Gouvernement et la majorité légifèrent sur ces questions. Attention : nous ne parlons pas ici du salaire des dirigeants des TPE/PME ou des artisans et commerçants, qui représentent l’immense majorité des chefs d’entreprises, mais des dirigeants des plus grands groupes. Ainsi, dans ces entreprises, les actionnaires auront à se prononcer sur la rémunération des dirigeants. Leur avis sera contraignant alors qu’il n’est que consultatif aujourd’hui. Par ailleurs, les pouvoirs de l’Autorité des Marchés Financiers sont renforcés. Cet organisme pourra désormais infliger des sanctions pouvant aller jusqu’à 15% du chiffre d’affaires lorsqu’un abus de marché sera constaté.
Ces nouvelles mesures viennent s’ajouter à d’autres réformes entreprises depuis 2012. Les revenus des dirigeants d’entreprises publiques ont d’abord été plafonnés à 450 000 euros brut par an pour empêcher une variation des salaires au-delà d’une échelle de 1 à 20 au sein des entreprises publiques. Le Gouvernement a obtenu du patronat le renforcement du Code de gouvernance des entreprises privées qui prend désormais en compte la performance de l’entreprise, permet à un administrateur salarié de siéger au comité des rémunérations et renforce le contrôle des retraites chapeau. Au niveau européen, la France a obtenu que les bonus ne puissent plus excéder les salaires annuels fixes dans le secteur bancaire. Enfin, la loi croissance et activité encadre le système des retraites-chapeaux en les conditionnant à la performance de l’entreprise et en limitant le rythme d’accumulation des droits.
III La lutte contre la corruption
Dans ses articles 1 à 5, le projet de loi instaure, en lieu et place du SCPC (Service Central de Prévention de la Corruption), l’agence française anticorruption. Cette nouvelle autorité dédiée à la prévention et à la détection de la corruption aura pour mission la mise en place de programmes anticorruption dans les entreprises de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros. De plus, les grandes entreprises devront mettre en place des règles pour prévenir et détecter la corruption : code de bonne conduite, formation du personnel, dispositif d’alerte interne… Les règles sont durcies pour les faits de corruption commis à l’étranger par des entreprises françaises.
Une autre des mesures phares du projet est la création d’un répertoire des représentants d’intérêts qui exercent régulièrement une activité de lobbying en entrant en communication avec un représentant politique. Cette mesure vise à encadrer l’exercice du lobbying pour en assurer la transparence.
Ce projet de loi est, à mon sens, un texte très attendu et fort opportun, vers une plus grande éthique de la vie publique et économique. Ce texte permet à la France d’intégrer enfin les standards de l’OCDE. Dans une société où les inégalités sociales se creusent de plus en plus, il est du devoir de la majorité parlementaire, à laquelle j’appartiens, de lutter contre l’opacité de l’économie qui permet la pérennité de la fraude fiscale. Je soutiens toutes les mesures prises par le gouvernement en faveur d’une économie plus équitable.
Après son examen en première lecture à l’Assemblée Nationale et au Sénat, je souhaite que la Commission mixte paritaire trouve au plus vite un accord pour que ce texte soit définitivement adopté dès la rentrée. Alors qu’il est demandé à chacun de faire des efforts pour contribuer au redressement du pays, chacun doit se montrer responsable, en particulier les mieux lotis d’entre nous. C’est bel et bien la gauche qui prend des mesures fortes pour mieux réguler le monde de la finance et la mettre au service de l’économie réelle.
Marie-Anne Chapdelaine