Nous avons rencontré Marie Louvel chez elle, moins d’une semaine avant qu’elle souffle ses 84 bougies. Pudeur et discrétion sont les deux obstacles que nous avons dû franchir avec délicatesse pour mieux faire sa connaissance.
Native de Saint Lunaire, elle y passe ses premières années avec ses parents et ses 6 sœurs.
Elle a 10 ans lorsque toute la famille vient s’installer à Rennes, contrainte de se rapprocher du sanatorium de Pontchaillou, 3 des enfants dont elle-même étant touchés par la tuberculose. Une de ses sœurs n’y survivra pas. Les moyens étant très limités, pour loger sa famille, le père n’a d’autre possibilité que de construire lui-même sa petite maison en bois. S’ensuit une dure vie de labeur, au Marché au cuir notamment, qui aboutira à son décès 8 jours avant son départ en retraite.
Marie a alors 14 ans et doit partir au travail. Pendant 7 années, elle exerce le métier d’ouvrière en chemiserie dans une usine au « management » infernal pour ses ouvrières et pour un salaire de misère.. « On était en équipes de 28, à la chaîne, commandées au sifflet avec 5mn de pause par heure. Ces 5mn servant souvent à combler un moment de retard sur la cadence imposée ». Durant cette période, Marie milite à la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, ce qui n’est pas toujours apprécié de certaines de ses camarades de chaîne. L’usine fermant à la morte saison, en été, elle se retrouve en chômage et doit faire des saisons de femme de chambre dans des villas bourgeoises de Saint Lunaire. C’est là qu’elle se trouve confrontée au mépris d’un de ses employeurs qui, voulant ignorer son existence, avait décidé qu’il revenait à sa femme de transmettre ses desiderata à la femme de chambre. A son retour à Rennes, elle saisit une occasion d’être embauchée à la chemiserie Strauss-Vimont, puis chez You où elle trouve des conditions de travail moins oppressantes (pas de chaîne) et « plus humaines ». Puis ce seront les Magasins Modernes et un peu plus tard OBI.
Elle concrétise ses aspirations humanistes et solidaires en adhérant et en militant à la CLCV (elle y est encore aujourd’hui). C’est cet intérêt permanent à la condition des personnes fragilisées ou en difficultés qui la conduit, dans les années 50, à s’intéresser à la profession de Travailleuse Familiale. C’est à cette époque que L’AFAD, Association Familiale d’Aide à Domicile qui couvre la Ville de Rennes est sectorisée. Marie s’engage à en assurer la direction sur le secteur Sud de Rennes pendant 3 ans. Il s’agit d’organiser le remplacement de mamans pendant leur séjour en maternité et de les assister à leur retour. Tout est à faire : certaines tâches administratives (en complément d’une secrétaire recrutée à cet effet) et surtout la gestion du personnel : son recrutement, sa formation (2 années), le suivi des interventions, les rapports avec la CAF etc. De quoi occuper pleinement sa vie, sans pour autant, négliger ses 3 enfants. Enfin elle est nommée Présidente et le reste jusqu’à son départ en retraite. Elle s’investit également sur son quartier Fernand Jacq et c’est là qu’elle rencontre Renée Prévert, une élue très active de la Municipalité Fréville.
Pendant notre entretien, discrètement, Jean, l’homme engagé bien connu, est arrivé et se tient à distance, silencieux, attentif aux paroles que prononce Marie, son épouse. Ils viennent de célébrer les 60 ans de leur union. Une vie commune riche d’un attachement réciproque, sans failles, d’engagements, s’exerçant sur des terrains différents, mais toujours dans le même esprit : le souci du sort de la population. A les voir, tous les deux, chacun avec ses gestes, ses mots, ses regards, on sent que cette vie commune fut empreinte de complicité, de solidarité, d’un attachement sans bornes.. « Une vie de soutien mutuel ». Et puis, tout à coup, après l’évocation de ce long cheminement, leurs regards se croisent, le silence, un sourire de tendresse, pudique, une délicate caresse sur la joue de Marie…
Tout est dit, nous repartons, sous le charme de cette dernière image.
Recueilli par Bernard Morin et Jean-Claude Katz